Au premier étage du carrefour Rameau, deux puissants atlantes bordés de consoles monumentales se la jouent un peu, rivalisant d'efforts comme pour se convaincre eux-mêmes de leur numéro de lévitation minérale.
L'immeuble est bien visible au cœur de la ville, en partie grâce à cette démesure ornementale, ou à cause d'elle. Situé juste derrière le théâtre, on peut le soupçonner d'en avoir profité pour tirer opportunément à lui la couverture d'un mélodrame architectural au-delà des coulisses. L'entrée en scène des hommes-troncs, surpris au sortir de la douche dans une pantomime un poil démonstrative, s'est arrêtée pour toujours sur cet inévitable point d'orgue : les héros parviendront-ils encore longtemps à supporter le poids de l'édifice et celui des ans ?
Pourtant, dans la lueur irréelle d'un crépuscule de papier, un défaut du dessin fait accidentellement onduler l'imposante façade. Même s'il est à peine perceptible au premier regard, ce vacillement recouvre tout à coup ce que l'on voit aujourd'hui d'un léger voile d'incertitude à propos de ce qu'on ressentait hier. Ou inversement. On dirait qu'on a rêvé, juste un trouble passager. La posture des colosses de pierre n'en paraît que plus inconfortable.
On ne lève plus les yeux depuis longtemps pour contempler la vaine bravoure des atlantes et rire par avance du moment où une crampe finira bien par surprendre l'un d'eux, une mouche leur chatouiller le nez.
Il n'y a plus de phare désormais au quatrième étage, sa lumière ayant quitté la ville, portée par un vent de sud-est vers d'autres horizons. Où qu'elle se trouve, elle illumine encore et fait briller, comme elle l'a toujours fait, quiconque s'avance vers elle et qu'elle emplit de sa chaleur.
Acrylique aquarellée sur papier, 37.5x52 cm
Watered acrylic on paper, 14"76x20"47
2 commentaires:
En plus d'un dessin très fouillé, le commentaire est d'une rare puissance narrative. Quel talent !
Charmée par le dessin et le verbe, comme toujours!
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